Un très joli livre que ce saut dans le vide, de la philosophie à la mystique de José Le Roy.
Très élégant, avec des "articles" de quelques pages, illustrant la présence de l'intuition mystique chez les philosophes et les écrivains. Parcours très varié et percutant.
Je vous donne ici un extrait d'un des articles intitulé la vraie philosophie et l'éveil. Il défend la philosophie comme approche de l'éveil contre la pratique du doute permanent et le scepticisme généralisé.
NB : c'est moi qui est mis en gras certaines parties du texte.
La vraie philosophie et l’éveil
[ Un article] contre la notion de philosophie comme problématisation de notions. La tendance
actuelle pour défendre la philosophie dans les lycées : « La philosophie
n’est pas un savoir comme les autres, elle n’est pas un savoir mais une
pratique de l’interrogation ». Par exemple, Raphaël Enthoven :
« L’utilité première de la philosophie, c’est de répondre à une question
par une autre question. » Pratiquement aucun philosophe ne souscrirait à
un tel programme ! (..)
Seul le scepticisme pourrait souscrire à une telle définition de la philosophie. Les philosophes ne se contentent pas de poser des questions : ils donnent des réponses. [ Il cite Fichte ( p295 ) ] : « Il est commode de couvrir du nom ronflant de scepticisme le manque d’intelligence. Il est agréable de faire passer aux yeux des hommes ce manque d’intelligence qui nous a empêché de saisir la vérité pour une pénétration merveilleuse d’esprit, qui nous révèle des motifs de doute inconnus et inaccessibles au reste des hommes. » [ En note de bas de page, il donne un éclairage de Luc Ferry : ] « La classe de philosophie a été crée par Napoléon en 1806 dans une perspective très précise ; il s’agit en vérité non pas de cours de philosophie mais d’instruction civique pour permettre aux jeunes gens de devenir des citoyens (..) ëtre capable de réfléchir, c’est à dire avoir un esprit critique, argumenter et comparer (..) Cette activité d’esprit critique n’a strictement aucun rapport avec la philosophie [ esprit critique très utile certes, y compris au sein de la philosophie ] (..) Le « job » de la philosophie consiste à répondre à la question de la « vie bonne ». philosophia en grec, l’amour de la sagesse. La sagesse, c’est la victoire sur les peurs qui nous empêche de bien vivre. »
Et Frithof Schuon : « L’amour de la sagesse est la science de tous les principes fondamentaux : cette science opère avec l’intuition qui « perçoit » et non avec la seule raison qui « conclut » (..) l’essence de la philosophie est la certitude ; pour les modernes au contraire, l’essence de la philosophie est le doute.(..) La solution du problème de la connaissance – si problème il y a - ne saurait être ce suicide intellectuel qui est la promotion du doute ; c’est au contraire le recours à une source de certitude qui transcende le mécanisme mental, et cette source – la seule qui soit - est le pur Intellect ou l’Intelligence en soi.»
Ainsi Schuon montre que la philosophie moderne, parce qu’elle ne connaît plus l’intuition intellectuelle et se limite à la raison discursive ne peut plus découvrir aucune certitude ni vérité et fait ainsi du doute l’essence de la philosophie.
[ p 298 ] La
philosophie n’est pas seulement un art de disserter et de créer des systèmes
mais un véritable chemin d’éveil, un chemin de vision.
Cette
distinction entre le philosophe et le philodoxe ( celui qui n’est que
dialecticien ) est très clairement établie par Al Suhrawardi ( 1150-1191 )
philosophe et mystique perse musulman. Il classe les philosophes selon qu’ils
pratiquent seulement la recherche dialectique, qu’ils sont dans l’expérience
mystique pure, ou qu’ils rassemblent les deux et sont [ selon lui ] les hommes «parfaits»
Redonner
son statut à la philosophie, à la certitude intellectuelle, à l’intuition
intellectuelle « qui transcende le mécanisme mental », c’est une des
tâches que s’est donné José Le Roy ( prolongeant Douglas Harding ) et qu’il mène à bien
magnifiquement dans ce livre.